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De jeunes adultes discutent
Les villes, et à moindre échelle, les quartiers et les espaces de rencontre, jouent un rôle non négligeable afin de favoriser l’innovation. (Shutterstock)

Au-delà du mythe du garage : quelle est l’importance des lieux dans la création d’entreprise ?

De nombreuses innovations technologiques sont nées dans des garages, des chambres, des sous-sols.

Parmi les cas les plus célèbres, on peut penser à l’ordinateur Apple I que Steve Jobs conçoit en Californie avec Steve Wozniak et quelques autres dans le garage de ses parents. Il est transformé pour l’occasion en véritable atelier. La situation est similaire pour les fondateurs de Google, qui installent leurs premiers bureaux dans un garage de Menlo Park.

Pensons encore à William Hewlett et David Packard, qui développent un oscillateur dans le garage familial à Palo Alto. L’un de leurs premiers clients sera Walt Disney, qui s’en servira pour sonoriser Fantasia en 1940. Plus tard, ces deux étudiants de l’Université de Stanford sortiront du garage pour fonder l’entreprise HP.

Ici réside un mythe fondateur de l’aventure entrepreneuriale. Avant de devenir une entreprise remarquable, le lieu semble aussi important que le ou les quelques pionniers qui l’investissent. Et au-delà d'espaces particuliers, c’est toute la ville qui compte. Ce qu’elle offre et son organisation favorisent l’émergence de la nouveauté.


Nos villes d’hier à demain est une série produite par La Conversation.

Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et – tout particulièrement en cette année électorale – politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.

Pluralisation des lieux de création

Aujourd’hui, les espaces qui accompagnent spécifiquement la démarche entrepreneuriale sont nombreux : incubateurs, accélérateurs, espaces de travail collaboratifs, qui, en plus d’offrir un endroit où travailler, facilitent la mise en relation avec des partenaires potentiels et l’accès à des opportunités d’affaires.

Il est par ailleurs intéressant de constater qu’ils se sont multipliés dans la plupart des villes, parfois avec une spécialisation. L’on peut en trouver pour les domaines de la santé, des innovations sociales, ou encore des technologies numériques.

Maison de banlieue
Le garage Apple, situé dans la maison d'enfance de Steve Jobs, était un lieu de rencontre pour les fondateurs d'Apple. (Shutterstock)

Mais, aussi importants qu’ils puissent être pour certains acteurs, ces espaces ne sont pas toujours le point tournant de l’aventure entrepreneuriale. D’autres lieux, parfois inattendus, comme le fast-food à l’origine de Nvidia ou les saunas californiens, qui ont remplacé les hôtels de luxe pour les rencontres d’affaire entre investisseurs et entrepreneurs, contribuent eux aussi à la création ou au développement d’entreprises. Aussi, une aventure entrepreneuriale réussie ne se réduit pas à la fréquentation d’un lieu unique.

D’où cette question : que sait-on du rôle des villes et de la variété des lieux qui la composent par rapport au développement de la capacité entrepreneuriale ?

Respectivement chercheur post-doctoral à HEC Montréal – MOSAIC et professeur titulaire en management de l’innovation à Nantes Université – IAE, nous avons exploré cette question dans le cadre de nos recherches en gestion de l’innovation, notamment dans une recherche récente.

La ville, cet écosystème

La recherche s’est pendant longtemps concentrée sur des types de lieux spécifiques. Il s’agit à la fois de comprendre ce qu’il s’y joue et d’en extraire des enseignements à répliquer ailleurs. Ainsi, accéder à un espace de travail partagé offre l’opportunité de socialiser l’entrepreneur. C’était d’ailleurs la grande promesse de l’entreprise américaine WeWork : être membre d’une communauté.


Read more: WeWork : chute d’une entreprise ou fin du coworking ?


Accéder à des technologies ou des outils spécifiques pour prototyper peut se faire dans un fab lab ou un atelier de fabrication collaboratif. Présenter son projet devant des investisseurs se fera plus facilement dans un incubateur ou un accélérateur. À titre d’exemple, une présentation chez Y-Combinator, en Californie, offre l’assurance pour un entrepreneur d’avoir l’attention de nombreux investisseurs tant cet accélérateur est réputé pour accompagner des projets prometteurs.

De la même manière, rencontrer des partenaires potentiels, ou capter les dernières tendances à propos d’un marché ou des technologies se fera plus facilement dans un café à la mode ou dans un bar en soirée. Les échanges informels y sont plus faciles et participent pleinement à la dynamique entrepreneuriale du territoire.

Espace de bureaux
Espace de bureaux partagés WeWork à Two Summerlin, au Nevada aux États-Unis. (Shutterstock)

Et puis tout simplement, d’où vient l’idée de départ ? Comme le montre l’éditorialiste et écrivain américain Steven Berlin Johnson en prenant les exemples de Gutenberg et de Darwin, force est de constater que cela arrive souvent n’importe quand et donc souvent un peu n’importe où.

Par conséquent, il est peu probable que toutes les ressources dont les innovateurs ont besoin, qu’ils soient entrepreneurs, artistes ou scientifiques, soient disponibles pour tous, en tout temps, et dans un seul lieu.

Comme l’a si bien décrit l’urbaniste et sociologue américaine Jane Jacobs, les individus vivent la ville. Ils ne fréquentent pas qu’un seul lieu : ils circulent, visitent ou passent devant une variété d’endroits qui, chacun à sa manière, peut nourrir la créativité et le parcours des entrepreneurs. Ainsi, ce que notre recherche dévoile, c’est que c’est avant tout la combinaison des lieux d’une ville, leur diversité de taille, de fonction, d’objectifs et de localisation qui produit de la capacité entrepreneuriale.

Observer les artistes pour mieux comprendre l’entrepreneuriat

Prenons l’exemple de créateurs et créatrices qui réalisent des œuvres de projection illusionniste à Montréal. À partir d’une enquête de six mois auprès de 21 artistes montréalais, nous avons montré l’hétérogénéité des lieux fréquentés tout au long du processus de création et de développement.


L’expertise universitaire, l’exigence journalistique.

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Notre étude fait émerger deux conclusions principales.

D’abord, en fonction du profil des individus et de leur démarche créative, les lieux fréquentés sont différents et parfois distinctifs. C’est le cas, par exemple, d’une artiste qui a bénéficié d’une résidence dans un atelier d’impression pour réaliser une projection sur des tissus. C’est également le cas d’un créateur qui s’est rendu dans un fab lab pour expérimenter avec des capteurs.

Cela suggère qu’il existe des trajectoires propres à chaque individu, et donc qu’il n’y a pas un seul parcours derrière chaque innovation.

Un besoin de quelques lieux structurants

Ensuite, ce constat laisse penser que la convergence autour de certains lieux n’est pas due au hasard : de multiples ressources, parfois cruciales pour être reconnus dans un domaine, y sont mobilisées.

Par exemple, la Société des Arts Technologiques (SAT) de Montréal est fréquentée régulièrement par de nombreux artistes de notre étude. C’est un lieu réputé qui a bénéficié à la carrière de nombreux artistes du milieu. Les artistes que nous avons rencontrés s’y rendent pour suivre des formations, assister à des spectacles, rencontrer des musiciens avec qui ils et elles pourraient collaborer.

Ainsi se construit la réputation d’un lieu. Comme nous l’avons montré, celui-ci peut devenir essentiel à une étape particulière du parcours de l’entrepreneur.

Mais avant ou après cette étape, d’autres lieux peuvent lui être plus profitables.

En effet, selon la phase du projet d’innovation, les types de lieux fréquentés et leur nombre varient fortement. Les besoins étant différents, la capacité à innover dépend donc des endroits et des possibilités qui existent dans la ville. Par exemple, la diversité de l’offre culturelle montréalaise, avec ses centres d’artistes et salles de spectacles, inspire fortement les artistes de projection illusionniste.

Les ateliers sont évidemment des lieux importants pour l’expérimentation et la création, mais ils ne sont visités qu’au moment de réaliser des prototypes ou l’œuvre finale.

Le territoire de l’innovation

Dans un contexte plus global où les défis technologiques, sociétaux et environnementaux sont nombreux, les innovations sont nécessaires.

Derrière elles, les idées et les entrepreneurs sont essentiels. Ils ont besoin de compétences et de moyens financiers. Ils ont besoin de s’inscrire dans des collectifs et des communautés. Mais aussi, et peut-être même surtout, ils ont besoin de s’inscrire dans des territoires qui offrent un large éventail de lieux pour bénéficier de ressources complémentaires afin de mener à bien leurs projets.

La ville, dans son ensemble, et à plus petite échelle les quartiers, sont le creuset à partir duquel circulent et se mélangent les idées, où mûrissent et se structurent les projets. La morphologie urbaine, que l’on peut entendre comme un agencement particulier de lieux et d’infrastructures de transport ou de déplacement devient alors un nouveau déterminant de la capacité entrepreneuriale.