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Chevalet de pompage en activité au dessus d'un puit de pétrole
Forage pétrolier près de Carstairs, en Alberta, le 3 février 2025. La Presse canadienne/Jeff McIntosh

« Drill, baby, drill » : face à l'obsession de Trump pour le pétrole, une mobilisation citoyenne verra-t-elle le jour ?

Lors de son investiture, le nouveau président des États-Unis Donald Trump a annoncé l’état d’urgence énergétique.

« Nous allons forer à tout-va », a-t-il déclaré, reprenant l’un de ses slogans de campagne : « We will drill, baby, drill ».

Il a immédiatement signé des décrets abrogeant le blocage de nouveaux forages, notamment dans les océans Atlantique et Pacifique. Il a aussi levé l’interdiction des forages pétroliers sur quelque 6,5 millions d’hectares dans l’Arctique. Depuis, il enchaîne les déclarations intempestives, annonçant qu’il allait imposer des tarifs de 10 % sur le pétrole canadien. Le retour au pouvoir de l’administration Trump signifie donc remettre l’extractivisme minier et pétrolier au cœur du programme politique.

En tant que doctorante en affaires internationales à HEC Montréal et chercheuse affiliée au CERIUM, je m’intéresse à la résistance des communautés locales et autochtones aux projets extractivistes.

Accumulation par dépossession

L’extractivisme ne consiste pas seulement à extraire des ressources naturelles. Il s’agit d’un système fondé sur l’accaparement des terres, un rapport hégémonique à celles-ci et ce que le géographe marxiste David Harvey appelle « l’accumulation par la dépossession ».


L’expertise universitaire, l’exigence journalistique.

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Cela est rendu possible grâce à un État qui légifère pour permettre aux entreprises multinationales l’accès à ces ressources.

L’extractivisme, en ce sens, est donc un pilier de la politique intérieure et aussi extérieure de Donald Trump.

Dans la continuité de cette obsession avérée pour la production et l’obtention de ressources vitales, il a réitéré sa volonté d’acheter le Groenland, connu pour ses minerais critiques notamment les terres rares.

des icebergs flottent dans l’eau au lever du soleil avec des montagnes en arrière-plan
Des icebergs flottent dans l’eau au lever du soleil dans la région de Kulusuk, au Groenland, le 16 août 2019. La région recèle des terres rares. AP/Felipe Dana

Il avait déjà annoncé vouloir acquérir l’île arctique auprès du Danemark en 2019 dans le cadre d’une opération immobilière. Cette fois, il invoque la « sécurité nationale ».

Depuis la guerre froide, cette doctrine militaire étasunienne a servi de justification aux comportements néocoloniaux pour préserver les intérêts nationaux des États-Unis.

L’attitude de Donald Trump rappelle donc le lien intrinsèque entre le capitalisme impérialiste et l’extractivisme prédateur, qui n’est pas sans menacer directement le Canada lui-même.

Quels impacts pour le Canada ?

Au Canada, à la suite des déclarations du nouveau président, un certain discours conservateur et libéral, comme celui de l’Association minière du Canada et de l’Institut Fraser, appelle à la déréglementation des secteurs pétrolier et minier pour concurrencer les États-Unis. Les conservateurs souhaitent également construire de nouvelles infrastructures, augmenter les investissements et relancer des projets d’oléoducs et de gazoducs.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau a également affirmé au début du mois que le Canada allait adopter des mesures non tarifaires pour les minéraux critiques. Cependant, le gouvernement a pour le moment abandonné l’imposition de taxes sur les exportations énergétiques vers les États-Unis en raison de l’opposition de l’Alberta, grand exportateur de pétrole.

De son côté, le ministre québécois de l’Environnement, Benoît Charette, a annoncé que le Plan pour une économie verte devra tenir compte dans les prochains mois des annonces de Trump et que les industries québécoises n’auront pas de contraintes environnementales supplémentaires pour ne pas pénaliser l’économie de la province.

Cette insistance à privilégier l’économie et la compétitivité, alors qu’en 2024, nous avons atteint pour la première fois 1,5 degré de réchauffement, et que chaque projet pétrolier représente une petite bombe climatique, est un contresens à mon avis. Dès 2021, l’Agence internationale de l’énergie a affirmé qu’il fallait renoncer à tout nouvel investissement dans de nouveaux projets fossiles (miniers, pétroliers, gaziers) afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Après plusieurs années de mise à l’arrêt à la suite de la pandémie de la Covid-19, une mobilisation citoyenne coordonnée contre un modèle extractiviste délétère se reconstitue.

La résistance citoyenne contre l’extractivisme

La mobilisation citoyenne s’avère efficace, même dans les administrations les plus réfractaires, où des victoires inattendues peuvent émerger.

Aux États-Unis sous la première administration Trump, cette alliance entre l’administration et les Big Oil, terme utilisé pour décrire les plus grandes sociétés pétrolières et gazières cotées en bourse, soulignant leur pouvoir politique, a précipité l’arrêt de projets majeurs comme l’Atlantic Coast Pipeline (annulé en 2020) et les oléoducs Keystone XL et Dakota Access.

Un homme vêtu de jeans et d’un chapeau de cowboy agenouillé sur un terrain à côté d’un ruisseau
Richard Averitt, propriétaire d’un terrain que devait traverser le pipeline de la Dominion Energy transport du gaz naturel, à Nellysford, en Virginie, pose fièrement sur son terrain, à la suite de l’annulation du projet après six ans de lutte en 2020. (AP/Steve Helbert)

Selon les avocats du Southern Environmental Law Center, l’un des avantages tactiques dans la bataille juridique contre Dominion Energy and Duke Energy (Atlantic Coast Pipeline) s’est révélé être les inconsistances légales et administratives qu’a provoqué l’accélération de l’examen des projets de pipelines et la délivrance de permis.

La résistance à l’extractivisme au Canada a également connu des victoires majeures grâce à une mobilisation d’ampleur de groupes écologistes tels que Coalition Stop Oléoduc Coule pas chez nous !, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) au Québec, et Équiterre.

TransCanada a retiré sa demande de permis pour les pipelines Énergie Est and Eastern Mainline qui devaient rejoindre l’Alberta et la Saskatchewan et la côte est. En 2021, le projet de gaz liquéfié Goldboro en Nouvelle-Écosse recule grâce aux alertes des activistes. Toujours en 2021, au Québec, le gouvernement Legault annonce le rejet du gazoduc GNL Québec.

La pandémie de Covid-19 et la victoire de Justin Trudeau ont cependant fragilisé ce mouvement. Cette administration ambiguë sur les questions écologiques a conduit à un reflux de la mobilisation et l’institutionnalisation d’une partie des revendications écologiques.

Au sommet de ses contradictions, le gouvernement Trudeau a même racheté l’oléoduc Transmoutain en 2018 pour garantir sa réalisation.

Reprise de la lutte ?

Ces deux dernières années ont vu un renouveau des mouvements anti-extractivistes au Québec avec notamment la campagne Le vivant se défend contre le vétuste oléoduc 9B d’Endbridge qui relie Westover, en Ontario, à Montréal.

Le Mur des femmes contre les oléoducs et les sables bitumineux, groupe écoféministe d’action directe très actif entre 2015 et 2019, se reforme avec le collectif Femmes pour le climat pour s’opposer aux énergies fossiles, au mythe de la transition énergétique et au masculinisme à la Trump.


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Le récent mouvement Multitudes, lancé en ce début février 2025, veut replacer les initiatives citoyennes et l’économie sociale locale au Québec au cœur du projet de société.

Un mouvement de résistance dynamique contre les mégaprojets extractivistes (par exemple la vétuste ligne 9B d’Enbridge) est en train de se reconstruire au Québec. Pour les groupes écologistes, la nouvelle ère Trump et la perspective des élections fédérales doivent être des signaux pour une remobilisation citoyenne massive et d’une vigilance renouvelée.

En effet, certains projets comme le GNL Québec pourrait être relancé et ce malgré le rejet fédéral et provincial en 2021.

Mais rien ne semble gagné pour les citoyens qui résistent. Selon un récent sondage, effectué au Québec, plus de la moitié des répondants se montreraient favorables aux deux projets controversés que sont Énergie Est et GNL Québec.