Le nombre d’étudiants français au Canada a quintuplé depuis 20 ans, passant d’environ 5 000 en 2000 à 23 850 en 2023, faisant d’eux la cinquième nationalité la plus représentée parmi les étudiants internationaux aujourd’hui. La grande majorité d’entre eux, soit 16 000, étudient dans des universités québécoises.
Quels sont les moteurs de cette mobilité soutenue ? Quelles sont les motivations des citoyens français qui choisissent de venir au Canada pour poursuivre leurs études ? Quels sont les facteurs qui influencent leurs trajectoires post-études et quels avantages retirent-ils de cette expérience ?
C’est à ces questions que nous avons cherché à répondre dans le cadre d’un projet de recherche mené entre 2023 et 2024 en collaboration avec l’ambassade de France au Canada. Cette recherche s’appuie en particulier sur une enquête en ligne auprès de 219 étudiants et diplômés français au Canada (dont 75 % au Québec et 22 % en Ontario), ainsi que 30 entretiens qualitatifs.
Dynamiques et motivations des départs
Les représentations du Canada auprès des Français précèdent, accompagnent et amplifient la mobilité des étudiants français vers ce pays. Le Canada est perçu comme pays « bienveillant et pacifique », et au sein même de l’Amérique du Nord contraste parfois avec les États-Unis, associés à la « gun culture » et aux inégalités.
Ces perceptions sont nourries par des relations interpersonnelles, amis, famille, ayant eu des expériences au Canada. Elles sont également façonnées par des sources institutionnelles, notamment par le biais des enseignants et conseillers d’orientation, qui, dès le lycée, présentent le Canada comme une destination académique accessible et attrayante.

En France, certaines conditions perçues comme contraignantes encouragent ces départs. Le système éducatif français, souvent qualifié de rigide et vertical, est fréquemment comparé au modèle canadien, jugé moins hiérarchique et plus professionnalisant.
Ainsi, Vanessa, qui a effectué une maîtrise en urbanisme à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), exprime sa déception à l’égard de l’environnement universitaire en France, qui l’a incité à venir au Canada : « Je n’ai pas du tout aimé l’environnement, les autres étudiants et parfois l’attitude un peu infantilisante des professeurs. »
Par ailleurs, les Français d’outre-mer sont nombreux à venir chercher des cursus plus variés au Canada, comparés aux options disponibles en Polynésie française ou bien à La Réunion.
Pour les nombreux étudiants qui s’orientent vers l’étranger, l’accès plus aisé aux financements aux niveaux de la maîtrise et du doctorat et les rabais sur les droits de scolarité existant dans certaines universités canadiennes (en particulier au Québec) constituent un facteur déterminant.
Le modèle de société canadien, en particulier les valeurs d’ouverture et d’inclusion, séduit de nombreux étudiants français. Pour certains, partir relève d’un choix par défaut, face à une immobilité sociale ressentie, tandis que pour d’autres, c’est une occasion d’épanouissement et de découverte.
Les études au Canada comme expérience culturelle
Au-delà des ambitions académiques et professionnelles, cette mobilité est souvent décrite par les étudiants français comme l’occasion d’opérer une transformation personnelle et de s’ouvrir sur le monde.
L’attrait du bilinguisme joue un rôle clé dans leur expérience. Apprendre ou perfectionner l’anglais est un objectif partagé par nombre d’entre eux, et certaines institutions avec un cursus bilingue, comme l’Université d’Ottawa, sont perçues comme des environnements propices à cet apprentissage.
Beaucoup se créent un cercle social sur place, souvent avec d’autres étudiants internationaux, anglophones et francophones, mais aussi avec de nombreux compatriotes. Plusieurs répondants témoignent de cet « entre Français », une réalité particulièrement remarquée par les étudiants en échange.
Le modèle canadien d’intégration est largement plébiscité par les étudiants français qui louent l’ouverture de la société canadienne à l’égard des personnes LGBTQ+ et personnes racisées, et soulignent le contraste avec les débats identitaires en France.
Read more: Découvrez qui sont les 100 000 Français qui vivent au Canada
Dans l’université canadienne, les étudiants français louent l’accessibilité à divers services de soutien et une relation proche avec l’équipe éducative. L’engagement dans la vie étudiante et les activités de campus, joue un rôle clé : ceux qui s’investissent davantage y trouvent plus facilement leur place.
Les possibilités professionnelles constituent un autre atout majeur. Stages, cours spécialisés, emplois étudiants : autant de moyens de se familiariser avec le monde du travail local et d’amorcer la construction d’un réseau professionnel. Pour Estelle, qui a effectué un cursus de business au ILAC International College à Toronto, cette immersion a permis d’acquérir des compétences valorisées sur le marché du travail, comme « le service à la clientèle à la canadienne ».
Rester ou rentrer ?
Pour beaucoup d’étudiants français, l’aventure canadienne débute comme un projet temporaire. Selon notre enquête, seuls 21 % envisagent dès le départ de s’installer durablement au Canada. Pourtant, parmi les diplômés, 56 % ont finalement choisi de rester au Canada, contre 38 % rentrés en France.


Cette décision de rester au Canada après les études découle de multiples raisons. Plus de trois quarts justifient ce choix au regard des débouchés professionnels et l’adéquation avec la culture et le mode de vie canadiens. Estelle explique être restée à Toronto après ses études, motivée notamment par la perspective d’un meilleur salaire et le sentiment « de pouvoir évoluer rapidement dans son travail ».

Cependant, pour certains, la France demeure un repère émotionnel et culturel essentiel, même lorsqu’ils s’installent durablement au Canada. Isabelle, ancienne étudiante en échange à l’Université d’Ottawa, maintenant installée à Toronto, explique avoir repoussé son projet de rentrer en France, conservant cependant « toujours l’idée de rentrer en France à moyen terme ».
D’autres étudiants envisagent d’aller, après leurs études au Canada, dans un pays tiers, comme les États-Unis, ou un autre pays européen. Ces aspirations multiples soulignent une mobilité qui s’inscrit dans un espace mondialisé, loin du simple choix binaire entre la France et le Canada.
Au-delà de la « fuite des cerveaux »
Les autorités canadiennes promeuvent depuis longtemps l’accueil d’étudiants français. La France figure ainsi parmi les pays jugés « prioritaires » par Affaires mondiales Canada. Encourager l’immigration francophone s’inscrit aussi dans une stratégie de politique linguistique, avec notamment l’objectif d’atteindre 8 % de nouveaux arrivants francophones hors Québec d’ici 2027.
Read more: L’immigration seule ne rétablira pas le poids démographique des francophones hors Québec
Du côté français, l’augmentation du nombre d’étudiants français au Canada, et leur installation sur le long terme génèrent une crainte quant au risque d’aspiration des talents français par le Canada.
Cependant, considérer cette mobilité étudiante comme un « vote avec les pieds » en faveur du Canada ou en défaveur de la France reste réducteur. Ces circulations d’étudiants et de diplômés témoignent plutôt d’une normalisation des parcours transnationaux et des expériences étudiantes mobiles.