On sait qu’il est essentiel pour un politicien qui aspire à être élu de mobiliser des idées fortes, qui s’adressent directement aux enjeux immédiats de l’électorat. Mais cela ne suffit généralement pas. Il faut également savoir raconter sa candidature, c’est-à-dire construire une image politique qui soit apte à convaincre l’électorat que l’on est le candidat idéal. C’est exactement ce qu’a fait Mark Carney, devenu récemment le nouveau chef du Parti libéral du Canada (PLC).
Lors de cette campagne électorale déclenchée à la hâte le 6 janvier, quatre leaders sont restés dans la course jusqu’à la fin : Mark Carney, Chrystia Freeland, Frank Baylis et Karina Gould.

Dans un contexte d’insécurité et de précarité économique, cette course à la chefferie avait un enjeu double. Il s’agissait non seulement de rehausser l’image du Parti libéral à la suite du bilan controversé du gouvernement de Trudeau tout en contrant la progression du Parti conservateur, mais aussi et surtout, de pouvoir faire face à la politique offensive de Donald Trump.
Depuis son entrée en fonction à la présidence des États-Unis le 20 janvier dernier, Trump a décidé d’imposer des droits de douane importants au Canada. Il souhaite également annexer économiquement le pays aux États-Unis.
Les personnalités dans la course devaient donc à la fois promouvoir et défendre des valeurs libérales, mais aussi se positionner face aux mesures coercitives de Trump. Cette course à la chefferie, dont le credo était « Maîtres chez nous », se devait donc de défendre l’autonomie du Canada.
Ce slogan phare de la Révolution tranquille a été repris par Mark Carney.

Respectivement professeure et étudiante à la maitrise en communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, nous nous intéressons à la construction de l’image dans le processus de marketing politique. Ces stratégies identitaires, qui visent à élaborer une image politique crédible, sont facilitées par l’usage des réseaux sociaux. En tant que chercheuses, nous étudions aussi le leadership politique.
C’est à ce titre que nous nous sommes penchées sur la course à la chefferie du PLC. Nous proposons ici une analyse des différentes facettes de l’image médiatique de Mark Carney à la lumière des trois composantes du triangle du leadership (compétence, accessibilité et authenticité) de nos collègues et collaborateurs italiens Diego Ceccobelli et Luigi Di Gregorio spécialistes de la communication et du marketing politique avec qui nous travaillons pour étudier le leadership politique.

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L’image de Mark
Si on vote en politique pour des idées, on vote aussi pour ceux et celles qui les incarnent. Dans une optique de personnalisation, la création de l’image est centrale pour les candidats et candidates en campagne électorale. Des techniques de narration sont utilisées afin de « mettre en scène », entre autres, leurs traits identitaires et leur personnalité.
Lors d’une campagne électorale, et selon le contexte politique, les partis peuvent ainsi choisir de personnifier leur identité politique à travers l’image, par exemple, d’un spécialiste en finances qui assurera une gestion des dépenses, ou bien d’un « homme fort » qui promet un retour à l’ordre et la sécurité dans le pays. Au-delà toutefois de ces déclinaisons, la plupart des candidats cherchent à se présenter en tant que leader chevronné représentant les valeurs partisanes tout en étant près des enjeux de l’électorat.
Les médias sont ainsi de plus en plus utilisés par les figures politiques afin de construire leur image. En contexte de crise, il s’agit de se montrer capable de gérer une conjoncture d’instabilité : les leaders doivent inspirer confiance en se montrant en contrôle de la situation, tout en valorisant un côté solidaire et humain. Il est donc pertinent de regarder comment le nouveau chef du PLC a construit son image politique autour de son profil personnel et professionnel afin de convaincre l’électorat qu’il était le candidat idéal.
Coup d’œil sur des éléments saillants de l’élaboration de son leadership pendant la campagne sur Instagram et Facebook. Campagne qui laisse présager une approche où, s’agissant des élections fédérales qui auront lieu ce printemps, le chef du PLC ne se laissera pas définir par ses adversaires et viendra plutôt jouer sur leurs terrains. Pensons ici à la question de l’abolition de la taxe carbone qui était le cheval de bataille de Pierre Poilievre et qu’il a fait sienne.
La force tranquille
Déjà, dans sa première publication annonçant sa candidature, Carney se présente avec une image professionnelle et positive. Il est photographié, souriant, en mouvement, vêtu d’un costume, projetant l’image d’un candidat dynamique, prêt à avancer avec confiance dans cette aventure électorale.

Si Carney a peu d’expérience en politique, il s’en sert comme d’une force : « C’est vrai, je ne suis pas un politicien de carrière. Je suis un pragmatique ». Il renforce une idée de compétence en mettant en avant son expertise professionnelle. Dans un contexte d’instabilité, le candidat a d’ailleurs évoqué à plusieurs reprises qu’il avait déjà un plan pour le Canada.

En outre, à l’instar du célèbre slogan républicain, « MAGA », Mark Carney mise également sur la croissance économique du Canada : « Rendons notre pays encore meilleur ».
À travers diverses publications axées sur son expertise, par le ton posé qu’il adopte dans ses vidéos, Mark Carney projette l’image d’un homme fiable et confiant en l’avenir, qui amène un vent de changement. Authenticité et compétences sont alors mises de l’avant afin de promouvoir son image et son leadership.
Un joueur d’équipe
La dimension sociale est assez marquée dans le discours de Carney : il se présente comme un canadien authentique et accessible, qui a le sens de la famille. La famille reste un élément clé en politique. Elle témoigne de l’authenticité et du caractère humain des acteurs politiques.

Dans la plupart du contenu publié, Carney projette l’image d’un leader à l’écoute, et valorisant le travail d’équipe. Cet élément met de l’avant les compétences du futur chef qui devra constituer un cabinet, nommer des ministres et travailler avec une diversité de personnes. Il met en avant une dynamique de groupe par des photos le représentant non seulement entouré de gens, mais dans une grande proximité avec eux.

Cette approche tend à le faire apparaitre auprès de l’électorat comme un homme de terrain, populaire et accessible. Divers clichés le montrent d’ailleurs en train d’être photographié par ses partisans, dans la mouvance de la « selfie mania » attribuée à Justin Trudeau.

Ô Canada
La dimension patriotique valorisant l’identité du Canada est présente dans les publications de Carney. Cette dimension se repère par exemple dans le pictogramme du drapeau canadien 🇨🇦 qui ponctue la plupart de ses publications, mais également dans ses discours, explicitement fédérateurs et rassembleurs.

En situation de crise, comme celle que nous traversons actuellement, en plus de la confiance que l’on doit pouvoir accorder au leader, la compétence est un élément déterminant. Carney met justement de l’avant cette compétence dans ses publications. Et il semble avoir réussi à convaincre les électeurs. L’ancien banquier d’affaires a non seulement remporté la chefferie du PLC avec plus de 80 % d’appui, mais est d’ores et déjà parvenu à placer son parti en tête dans les intentions de vote, selon divers sondages.
Si Mark Carney a remporté ce premier round électoral au sein du Parti libéral, il lui reste à se confronter à ses opposants lors des prochaines élections fédérales. Ses stratégies médiatiques seront à observer pour voir comment il projettera son leadership politique pour essayer de personnifier, d’une façon plus pérenne, le nouveau visage du Canada, d’autant plus que le chef du Parti conservateur du Canada (PCC) l’associera aussi souvent que possible à Justin Trudeau.