Au milieu de l’avalanche de décrets de l’administration Trump, l’un d’entre eux est particulièrement révélateur. Il s’agit d’un décret du ministère des Transports qui exige que l’on priorise le financement fédéral des autoroutes et des transports en commun pour les collectivités dont les taux de nuptialité et de natalité sont supérieurs à la moyenne nationale. Les régions où ces taux sont en baisse pourraient voir leur financement réduit.
Dans le cadre de mes travaux de recherche en santé internationale, je m’intéresse à la dynamique complexe entre les droits liés à la reproduction, la croissance démographique et la viabilité environnementale. Et ce nouveau décret m’inquiète.
La prise en compte des tendances démographiques est en effet fondamentale lorsqu’il s’agit de planifier les besoins d’un pays en matière d’infrastructures et de transports. Ce décret n’a toutefois rien à voir avec une planification intelligente des infrastructures. Il reflète plutôt le virage idéologique de l’administration Trump, qui intègre des politiques « natalistes » dans des secteurs beaucoup plus larges que ceux des droits reproductifs et des soins de santé.
Le natalisme est une idéologie politique qui cherche à augmenter les taux de natalité par des politiques encourageant les gens à avoir plus d’enfants. Il peut être motivé par des impératifs culturels, religieux, géopolitiques ou économiques.
Les politiques natalistes peuvent revêtir de nombreuses formes. Elles peuvent aller de mesures douces (comme la stigmatisation des personnes qui choisissent de ne pas avoir d’enfants) à des mesures sévères (comme la restriction de l’accès à la contraception).
Ailleurs sur la planète
Le virage nataliste ne concerne pas seulement les États-Unis.
Un peu partout sur la planète, des gouvernements s’inquiètent des changements démographiques et adoptent des mesures destinées à encourager les naissances. Cependant, ces politiques ne tiennent pas compte du fait que la population mondiale demeure en croissance.
Ainsi, la Pologne et la Corée du Sud proposent des montants d’argent par enfant. La Russie a rétabli le titre de « mère héroïque » de l’époque stalinienne pour les femmes qui ont eu 10 enfants en moins de 10 ans. La Chine a remplacé sa politique antinataliste de l’enfant unique par un régime nataliste agressif, qui restreint les vasectomies et permet de suivre les cycles menstruels.

Jusqu’à récemment, en raison des taux élevés de mortalité infantile et postinfantile, il était essentiel d’avoir beaucoup d’enfants pour maintenir la stabilité des populations. Cependant, les progrès réalisés en matière de soins de santé, d’hygiène et de niveau de vie ont considérablement réduit les taux de mortalité. Cela a donné lieu à une baisse du taux de fécondité et à une évolution du rôle de la reproduction dans les sociétés modernes.
Pourtant, de nombreux pays s’inquiètent de ce changement démographique. Leurs craintes sont largement ancrées dans des motivations culturelles, économiques et politiques, qui alimentent la montée des politiques natalistes à l’échelle mondiale.

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Les politiques démographiques qui accordent la priorité aux objectifs démographiques plutôt qu’à l’autonomie en matière de procréation (le pouvoir d’une personne de faire ses propres choix reproductifs) ont à maintes occasions eu des conséquences dévastatrices.
En Roumanie, le dictateur communiste Nicolae Ceaușescu a appliqué des politiques natalistes strictes jusqu’en 1989. On y a interdit les avortements, limité la contraception et les femmes étaient soumises à une surveillance intrusive de leur grossesse. Celles qui n’avaient pas d’enfants subissaient une taxation punitive. Ces mesures ont entraîné une augmentation des avortements clandestins et de la mortalité maternelle, des orphelinats surpeuplés et un traumatisme social à long terme.
Par ailleurs, les politiques natalistes semblent aller à l’encontre des souhaits de la plupart des gens. Quelle que soit leur culture ou leur religion, la grande majorité des gens veulent contrôler leur fécondité lorsque c’est possible. Les recherches montrent également que si les femmes ont accès à l’éducation et à la contraception, elles ont tendance à choisir d’avoir moins d’enfants.
Les discours alarmistes sur la baisse des taux de fécondité détournent l’attention d’une autre réalité : la moitié des grossesses dans le monde ne sont pas désirées. Les politiques natalistes semblent donc aller à l’encontre du progrès en matière d’autonomie reproductive.
Les politiques natalistes nuisent également aux efforts déployés pour réduire l’impact humain sur l’environnement. La taille et la croissance de la population sont deux facteurs majeurs de la dégradation de l’environnement et des changements climatiques.

Accepter la baisse des taux de fécondité pourrait contribuer à la mise en œuvre des changements nécessaires pour atténuer la pression sur les ressources naturelles, réduire les émissions de gaz à effet de serre et garantir un avenir plus viable.
Un peu de contexte
La population mondiale devrait augmenter de deux milliards de personnes au cours des prochaines décennies. Cependant, nous ignorons le nombre d’habitants que la planète peut abriter de manière durable. Sa capacité n’est pas une mesure fixe. Elle dépend des progrès technologiques, des modes de consommation, des structures économiques et des interactions en constante évolution entre les humains et l’environnement.
Selon les calculs de certains économistes écologistes, une population mondiale réellement durable devrait se situer autour de 3,2 milliards de personnes pour que tous aient un niveau de vie raisonnable. Bien que ces estimations soient loin d’être certaines, il est clair qu’une diminution de la population mondiale améliorerait nos chances de rétablir l’équilibre.
La peur du déclin démographique et les pressions en faveur de politiques natalistes occultent le fait que nous n’avons pas encore abordé les conséquences de la croissance démographique rapide que nous connaissons depuis les années 1950. Elle est pourtant en partie responsable de la dégradation de l’environnement et des changements climatiques.
L’un des principaux arguments natalistes est qu’une diminution de la population entraînerait un déclin économique. Ce raisonnement est dépassé, car il repose sur des modèles économiques qui supposent une croissance perpétuelle et ignorent le fait que les limites de la planète se font de plus en plus sentir. S’il est évident qu’une société vieillissante engendre des défis, une baisse des taux de natalité ne cause pas forcément une baisse du niveau de vie. Au contraire, une population moins nombreuse peut favoriser la productivité et une répartition plus équitable des richesses.
La croissance économique et démographique explosive des deux derniers siècles a constitué une anomalie dans l’histoire de l’humanité. L’idée que nous devons croître sans fin est une fiction moderne, et non une norme historique. Nous entrons à présent dans « l’ère de la dépopulation », une période caractérisée par une baisse des taux de fécondité et, à terme, par un déclin de la population. Nous devons nous y préparer et l’accepter au lieu d’essayer d’inverser la tendance.