L’ours polaire est le plus grand carnivore terrestre et un superprédateur qui peut faire plus de 600 kg. Pourtant, il est étonnamment petit à sa naissance. Aveugles, presque dépourvus de poils et pesant à peine 600 grammes, les nouveau-nés voient le jour dans des tanières de maternité sous la neige. Ces abris les gardent au chaud et en sécurité pendant les premiers mois de leur vie, au cours desquels ils grandissent rapidement en se nourrissant du lait très riche de leur mère.
Après trois ou quatre mois, les petits auront atteint environ 20 fois leur poids de naissance et seront suffisamment gros et poilus pour suivre leur mère dans le printemps glacial de l’Arctique.
Dans le cadre d’une étude publiée dans The Journal of Wildlife Management, nous avons utilisé des caméras robotisées pour observer des familles d’ours polaires au moment de leur sortie de la tanière à Svalbard, en Norvège. Cela nous a permis de mieux comprendre le comportement des mères et des oursons lorsque ceux-ci découvrent pour la première fois le monde extérieur.
Un phénomène difficile à observer
Bien que les tanières maternelles offrent des conditions idéales pour la croissance des petits, elles ne sont pas évidentes à étudier pour les chercheurs. Le temps froid, le manque de lumière du jour et leur isolement rendent les possibilités d’observation directe rares. Les ourses polaires en tanière sont souvent identifiées à l’aide de dispositifs de repérage portés par l’animal, généralement des colliers, mais aussi des étiquettes d’oreille ou de fourrure. Ces dispositifs transmettent des données de localisation par satellite, ce qui permet aux chercheurs de suivre les individus et d’étudier leurs déplacements.
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Le développement des technologies permet de collecter davantage d’informations, sur l’activité et la température, par exemple. Une période d’immobilité prolongée et une faible activité sont des signes que l’ourse s’est installée dans une tanière. Des températures supérieures à la température ambiante en sont également des indices. Isolé par la neige et réchauffé par la chaleur corporelle de la mère, l’air de la tanière peut atteindre 20 °C de plus que l’extérieur.
Au Svalbard, les ourses polaires construisent leurs abris sur les pentes des fjords et dans les zones montagneuses, où la neige soufflée par le vent rend les tanières difficiles à distinguer de l’environnement.

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Repérage des tanières
Nous avons utilisé les positions GPS transmises par des colliers satellites portés par les femelles pour localiser 13 tanières. L’allongement de la durée du jour au printemps a permis à notre équipe d’installer des caméras d’observation en face de l’entrée de chaque tanière présumée, afin de filmer les familles d’ours polaires lorsqu’elles en sortent. Pour limiter les perturbations, la dernière distance a été parcourue à pied ou à ski, et les caméras ont été collectées plusieurs mois plus tard, bien après le départ des familles pour la banquise.
Après avoir analysé des milliers d’images prises par la caméra, nous avons obtenu une perspective détaillée de cette étape énigmatique du cycle de vie des ours polaires. En associant les images aux données des colliers, nous avons également pu élaborer un modèle des différents comportements filmés, ce qui nous a fourni un nouvel outil pour mieux suivre à distance les ours pendant cette période.

Une endurance exceptionnelle
Bien qu’elle soit essentielle pour les oursons, la vie dans la tanière peut être difficile pour leur mère. Les femelles gravides y entrent généralement à l’automne, donnent naissance au milieu de l’hiver et y restent pour allaiter les oursons jusqu’à ce que la famille soit prête à sortir au printemps. Bien que leurs petits boivent du lait à haute teneur énergétique, les ourses polaires ne se nourrissent pas du tout pendant cette période et utilisent leurs réserves de graisse. Elles perdent jusqu’à 43 % de leur masse corporelle dans la tanière.
Même si elles ont toutes les raisons de retourner chasser sur la banquise, les ourses polaires demeurent dans la tanière avec leurs petits pendant des jours, voire des semaines après leur première sortie. En moyenne, les familles que nous avons suivies au Svalbard sont restées sur le site de la tanière pendant 12 jours après leur première sortie.

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Au cours de cette période, la mère et les oursons quittaient souvent la tanière pour explorer, mais restaient parfois moins d’une minute à l’extérieur. En d’autres occasions, ils sortaient pendant des heures. Les petits s’aventurent rarement à l’extérieur sans leur mère et n’ont été vus seuls que dans 5 % des observations par caméra. En général, plus les températures sont élevées et plus le nombre de jours écoulés depuis la première sortie est grand, plus le temps passé à l’extérieur est long.
Cette période permet aux oursons de s’acclimater à l’environnement extérieur et de développer les compétences et la force dont ils auront besoin pour suivre leur mère sur la banquise pendant les deux ans et demi à venir.
Nous avons également observé des variations considérables dans le comportement des animaux après leur sortie de la tanière : une famille l’a quittée après seulement quelques jours, tandis qu’une autre y est restée un mois complet après sa première apparition à l’extérieur. Deux femelles ont même déplacé leurs petits dans une nouvelle tanière après leur sortie.
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Conséquences des changements dans l’Arctique
Ces éléments soulèvent de nouvelles questions : qu’est-ce qui motive la décision de rester ou de quitter la tanière, sur quels critères les familles se basent-elles ? Bien que nous poursuivions le développement de notre ensemble de données pour mieux comprendre ces comportements, nous avons constaté qu’en moyenne, les ours polaires abandonnaient leur tanière environ une semaine plus tôt que ce qui avait été observé auparavant. La mer de Barents est une des régions de la planète qui se réchauffe le plus rapidement. Une surveillance continue permettra de savoir s’il s’agit d’une nouvelle tendance en réponse à la disparition de la glace de mer.
Pour obtenir des informations encore plus détaillées, nous avons testé des systèmes de caméras conçus sur mesure, capables de filmer les activités en continu.
Le réchauffement a déjà entraîné une détérioration de la santé des ours polaires dans certaines parties de l’Arctique où la glace de mer disparaît rapidement. Comme la population d’ours polaires est en péril dans une grande partie de leur aire de répartition, la réussite de la reproduction et de la vie dans la tanière est essentielle pour donner à la prochaine génération d’ours polaires une chance de survie.
Le temps passé dans la tanière, le moment de la première sortie et la durée pendant laquelle les ours demeurent dans la tanière après celle-ci sont autant d’éléments qui contribuent à la survie ultérieure des oursons. Avec le réchauffement climatique, l’empreinte humaine s’étend dans l’Arctique et risque d’empiéter sur les aires de mise bas et de perturber les familles d’ours polaires.
Une surveillance et une compréhension accrues du comportement des ours en tanière permettront de les protéger au cours de cette période critique.