Le président argentin Javier Milei avait promis de changements radicaux avant son arrivée au pouvoir. Après un peu plus d’un an de mandat, plusieurs signes indiquent une amélioration relative de l’économie argentine. Les salaires commencent à rattraper l’inflation. Celle-ci est passée d’un pic de 25,5 % en décembre 2023 à 2,7 % en décembre 2024. Le déficit budgétaire a été réduit et l’activité économique a rebondi.
Le taux de pauvreté, après avoir augmenté, serait désormais inférieur à ce qu’il était lorsque l’administration Milei a pris le pouvoir, fin 2023.
Grâce à ses succès, l’image publique de Javier Milei reste très positive. En effet, selon les derniers sondages, il conserve l’appui d’une partie considérable de la population, même en tenant compte de scandales comme la récente promotion de la memecoin $LIBRA.

Ce succès économique a été accompagné d’une relation étroite avec des éléments et personnages de l’extrême droite, notamment des leaders comme l’Américain Donald Trump et le Salvadorien Nayib Bukele, controversés en raison de leurs tendances autoritaires. Ces relations, soulignent plusieurs observateurs, ne sont pas sans risque pour la démocratie.
Candidat au Doctorat en science politique à l’Université Laval, mes recherches portent sur les autoritarismes, notamment en Argentine, et particulièrement avec le nouveau gouvernement de Javier Milei.
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Une façon de faire propre aux démocraties modernes
Cela peut paraître surprenant, mais il n’y a pas de consensus entre les chercheurs sur la manière de définir et de mesurer l’autoritarisme.
Une grande partie des indicateurs les plus utilisés, dont les données de Varieties of Democracy, tendent à employer une définition « négative » de l’autoritarisme. Selon cette approche, l’autoritarisme peut être compris comme la négation de la démocratie, notamment l’inexistence d’élections ou des libertés civiles limitées.
Cette façon de définir l’autoritarisme, même si elle est pertinente pour qualifier une grande variété des régimes, a été critiquée dans les dernières années. Selon Marlies Glasius, professeure à l’Université d’Amsterdam, cette approche « négative » laisse de côté plusieurs exemples modernes d’autoritarisme, dont le recul démocratique promu par de nombreux dirigeants modernes aux multiples allégeances.

Par exemple, la manière de gouverner de Donald Trump depuis son arrivée à la présidence, comme l’explosion de décrets présidentiels, le licenciement massif d’employés d’organismes fédéraux ou cette phrase publiée sur son réseau social selon laquelle « celui qui sauve son pays ne viole aucune loi », est-elle démocratique ? Il a tout de même été élu dans des élections libres et transparentes.
La position menée par Glasius nous invite à aller plus loin que les élections : le président (ou premier ministre) est-il responsable de ses actions ? Le débat public se développe-t-il dans une ambiance de respect mutuel ? La bureaucratie est-elle dépolitisée ? Respecte-elle les règles du jeu démocratiques ?

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Autrement dit, au-delà des élections, et au-delà du « savoir faire » plus technique, il y a aussi une « façon de faire », propre aux régimes démocratiques. Cette « façon de faire » va plus loin que la formalité institutionnelle, et inclut une grande variété de comportements et d’approches à la « chose publique ». Parmi ces comportements, nous pouvons inclure le respect à l’autre et à l’opinion divergente, ainsi que l’abandon des projets nihilistes et messianiques.
Quand nous entendons parler de « recul démocratique », c’est généralement ce type de comportements qui sont au cœur de la tempête. Les dirigeants autoritaires dans les démocraties consolidées jouent souvent un jeu d’apparences. Les institutions démocratiques y sont peu à peu déconstruites par la diffusion d’une « façon de faire » qui est contraire à l’esprit des démocraties contemporaines.
Javier Milei : leader autoritaire ou leader démocratique ?
Tel que mentionné dans un article précédent, plusieurs auteurs remarquent le caractère paradoxal de la relation de Javier Milei avec l’extrême droite.
D’un côté, Milei professe une idéologie anarcho-capitaliste qui possède plusieurs éléments contraires à ceux défendus par l’extrême droite européenne et nord-américaine.
D’un autre côté, Milei se déclare lui-même partie intégrante de la famille « de la droite » en se positionnant politiquement dans la même ligne que des leaders comme Trump ou Bukele. Cette adhésion porte possiblement le risque, par émulation, de dérives autoritaires. L’apprentissage et la diffusion des politiques sont des phénomènes largement étudiés en science politique.

En termes strictement formels, Milei a joué et continue à jouer le jeu démocratique. Son projet de loi le plus ambitieux, la Ley Bases, a été approuvé après plusieurs séances de négociation avec l’opposition. Sur ce point, Milei se distingue des pratiques de plusieurs dirigeants de l’extrême droite.
Sa « façon de faire » reste, par contre, très proche de ces derniers. Milei continue à accuser ses opposants de « socialistes », alors qu’il définit le socialisme comme « satanique » et « carcinogène ». Ses diatribes contre « la caste » politique sont constantes. À ces deux éléments s’ajoutent une croyance fervente dans le destin de sa mission et dans l’importance de sa présidence, annonçant un supposé retour de la « gloire » argentine.
Autrement dit, malgré son idéologie anarcho-capitaliste qui le situe dans une position éloignée de l’extrême droite européenne et américaine, Milei partage avec cette dernière une « façon de faire » nettement autoritaire. À l’instar d’autres démocraties contemporaines gouvernées par des leaders de l’extrême droite, le risque réside dans la tension entre la « façon de faire » autoritaire et les institutions démocratiques.