La guerre des métaux rares est entrée cette année dans une nouvelle dimension. Le président américain Donald Trump exige de l’Ukraine qu’elle rembourse les prêts américains en lui fournissant des terres rares. Après quelques tergiversations, le président ukrainien Volodymyr Zelensky était à la Maison-Blanche vendredi afin de signer une entente sur les métaux ukrainiens.
Ces récents événements témoignent non seulement de l’importance des métaux critiques, mais également d’un changement majeur dans l’attitude américaine, qui, sous l’administration Trump, ne craint pas d’utiliser les rapports de force, une forme de néo-impérialisme. Il s’agit dans tous les cas d’une nouvelle preuve que le multi-latéralisme a d’ores et déjà cédé au capitalisme de la finitude.
Professeur au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’Université du Québec à Montréal, mes travaux portent sur les ressources minérales, et notamment sur les terres rares. J’étudie également les relations entre les empires et les ressources minérales. Mes travaux permettent de donner une profondeur historique à la situation actuelle.

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La richesse minérale de l’Ukraine
L’Ukraine est sans nul doute un pays riche en ressources, agricoles surtout, mais aussi minérales. En 2020, les exportations minérales représentaient 30 % des exportations du pays.
L’Ukraine dispose de vastes réserves de nombreux métaux critiques, tel que le titane (métal de l’armement), le graphite et le manganèse (composants essentiels des batteries au lithium-ion), voire de lithium lui-même (le nouvel or blanc de la transition énergétique). En 2022, la vice-ministre Svetlana Grinchuk, responsable des ressources naturelles, affirmait qu’« environ 5 % de toutes les matières premières essentielles du monde se trouvent en Ukraine, qui n’occupe que 0,4 % de la surface de la Terre ».

L’intérêt de Trump pour les ressources ukrainiennes concerne surtout les terres rares, un groupe d’éléments dont certains sont essentiels à la conception des super-aimants et des moteurs électriques. Preuve peut-être de la précipitation du projet, le président américain semble toutefois confondre les terres rares avec les métaux critiques, un ensemble beaucoup plus vaste de métaux qui comprennent notamment les métaux des batteries tels le lithium et le cobalt.
Un précédent historique
Ce projet d'accord ressemble par bien des égards à ceux conclus après la Deuxième Guerre mondiale entre les États-Unis et les pays européens, notamment le Royaume-Uni, la France et la Belgique. Comme aujourd’hui, il s’agissait de reconstruire des pays largement détruits par la guerre.
Le plan Marshall était, au sortir de la guerre, une initiative américaine qui avait pour objectif de stimuler l’économie de l’Europe au moyen d’une série de prêts. Il s’agissait, pour les États-Unis, de rebâtir un marché de consommation devant lui permettre d’exporter ses produits, mais également ses valeurs, de manière à contrer le communisme.
On sait moins que le Plan Marshall s’accompagnait d’annexes qui visaient à garantir l’approvisionnement minéral de l’Amérique par les colonies britanniques, belges et françaises. Le plan accordait jusqu’à 45 millions de dollars de subventions (soit plus de 600 millions en valeur d’aujourd’hui) pour développer la production de matériaux stratégiques, notamment au Gabon, en Guinée et en Afrique du Sud.
Ces projets ont fait l’objet d’intenses négociations, les Français se méfiant en particulier de l’ingérence des Américains dans leur domaine d’outre-mer.
De l’économie à la politique minérale
L’accord souhaité entre Américains et Ukrainiens s’intègre dans un grand mouvement que Donald Trump a insufflé depuis le début de son second mandat à la politique américaine, visant à s’assurer un accès aux minéraux et aux hydrocarbures. Ses récentes propositions d’acheter le Groenland, ou de faire du Canada le 51e état des États-Unis s’inscrivent également dans cet horizon.

Il s’agit notamment pour les Américains d’acquérir une forme d’autonomie en matière de ressources par rapport à leur plus grand rival. La Chine contrôle, en effet, la production de l’essentiel des éléments critiques et stratégiques et a démontré sa capacité de les utiliser comme une arme géopolitique, en manipulant les dépendances métalliques.
Des ressources minérales critiques pour les États-Unis ?
En tant que spécialiste des ressources minérales, ce projet d’accord américano-ukrainien sur les minéraux critiques a toutefois quelque chose de déroutant.
Le principal problème concerne le fait que les trois minerais actuellement exploités en Ukraine, soit le titane, le graphite et le manganèse, ne comptent pas parmi les plus critiques pour les États-Unis.
Le titane est un métal abondant dont la principale utilisation est la peinture ; les applications militaires du titane métal représentent moins de 5 % de la production. Et il existe au moins 120 ans de ressources. L’Ukraine est le 7e producteur mondial, loin derrière l’Afrique du Sud, l’Australie ou le Canada qui sont des signataires de l’accord des minéraux stratégiques des États-Unis (2022).
Le manganèse est aussi un métal abondant, principalement produit en Afrique du Sud, au Gabon et en Australie.
En fait, seul le graphite constitue un enjeu plus sérieux, puisque son marché est largement dominé par la Chine. Les autres métaux, lithium et terres rares ne sont pas exploités en Ukraine. Il n’est donc pas évident de savoir en quoi un accord entre les États-Unis et l’Ukraine est susceptible de rééquilibrer un quelconque rapport de force avec la Chine sur le plan des minéraux critiques.
De l’économie à la politique minérale
La confusion s’explique peut-être par le fait que la notion de gisement dans la culture minière soviétique n’avait pas toujours de sens économique. On a pu ainsi lire qu’il y avait plusieurs dizaines de milliers de gisements en Ukraine.

Dans l’industrie minière occidentale, un gisement signifie des réserves démontrées, et donc une valeur économique confirmée. Or, dans le cas de l’Ukraine, l’expression signifie seulement qu’il existe des indications de la présence de métaux, des indices qui n’ont à cet égard aucune valeur économique.
Les États, comme les entreprises, ont toujours intérêt à promouvoir leurs ressources pour attirer les investisseurs. Dans le cas de l’Ukraine, 10 à 20 ans de travail, ainsi que des centaines de millions de dollars seraient en réalité nécessaires afin de démarrer l’extraction des ressources convoitées.

Et c’est sans compter les difficultés de la transformation. Compte tenu de la faiblesse des travaux antérieurs et de la lourdeur de la législation ukrainienne des ressources, héritée de la bureaucratie soviétique, les investisseurs risquent de se faire rares sans de fortes garanties.
Ainsi, tout se passe comme si ce projet d’accord reposait sur une double méprise, concernant d’abord la disponibilité des ressources ukrainiennes, et ensuite leur valeur de marché.
Cela étant dit, la transition énergétique est marquée par une nouvelle politisation des chaînes de production minérale. Dans ce domaine complexe, la communication, voire l’action politique, s’accompagne d’approximations dont le principal avantage est de permettre aux protagonistes de maintenir une posture… et de négocier. Alors, si c’est pour construire la paix, pourquoi pas ?