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Un homme hisse un drapeau sur un char détruit.
La guerre en Ukraine est devenue récemment un sujet de tension entre les alliés. (La Presse associée/Leo Correa)

Le rapprochement entre les É-U et la Russie a des conséquences sur la sécurité de l’Ukraine et de l’Europe

La coopération transatlantique en matière de sécurité et de défense est remise en question depuis que l’administration Trump s’est tournée vers la Russie au détriment de la sécurité de l’Ukraine, mais aussi de l’Europe.

Washington souhaite renforcer ses liens avec Moscou afin de créer une distance entre Vladimir Poutine et Xi Jinping. La Chine est en effet considérée comme la vraie menace à l’hégémonie américaine. L’Ukraine devient alors un outil de négociation.

En effet, la normalisation des relations russo-américaines s’est d’abord faite à son détriment, comme on l’a vu lors de la désormais fameuse rencontre à la Maison-Blanche, le 28 février 2025, entre le président Trump et son vice-président J.D. Vance, et le président Volodymyr Zelensky.

Mais elle a aussi un impact sur toute l’Europe.


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Professeur titulaire de relations internationales au Département d’histoire de l’Université Laval, ma co-auteure, Sophie Marineau, est doctorante en histoire des relations internationales à l’Université catholique de Louvain. Depuis 2014, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de nos recherches respectives.

Deux hommes se tiennent côte à côte
La rencontre entre Trump et Zelensky a tourné à l’affrontement, générant ainsi une scène inédite en matière de diplomatie. (Shutterstock)

Un appel téléphonique inusité

Le rapprochement russo-américain a débuté par une conversation téléphonique tenue entre les présidents Trump et Poutine le 12 février 2025. D’une durée d’une heure trente, l’échange s’est déroulé, selon Trump, dans une atmosphère respectueuse et cordiale. Ni le président Zelensky ni l’Union européenne (UE), le plus important contributeur à l’aide militaire et économique de l’Ukraine, n’ont été informés en avance de cette initiative de la diplomatie américaine.

L’appel téléphonique Trump-Poutine a été suivi, une semaine plus tard, par une rencontre entre les délégations russes et américaines, conduite en Arabie saoudite par leurs ministres des Affaires étrangères respectifs, Sergei Lavrov et Marco Rubio. Encore une fois, ni l’Ukraine ni l’Union européenne n’ont été invitées.

La rencontre en Arabie saoudite a été suivie par une autre le 27 février à Istanbul en Turquie. L’objectif de ces négociations était de normaliser les relations bilatérales, pratiquement gelées depuis l’agression russe contre l’Ukraine le 24 février 2022, par l’administration de Joe Biden.

Dans les sillages de la rencontre d’Istanbul, le 1er mars 2025, les États-Unis ont suspendu leurs cyber-opérations contre la Russie. En revanche, cette dernière utilise abondamment les cyberattaques pour interférer dans les élections européennes et américaines.


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Un coup de poignard dans le dos

Le 3 mars, les États-Unis arrêtent les livraisons d’armes et de munitions à l’Ukraine ainsi que le partage des renseignements militaires. Ceux-ci sont pourtant essentiels à l’armée ukrainienne, laquelle manque de soldats afin de couvrir une ligne de front d’environ 1000 kilomètres. Le 5 mars, l’administration suspend aussi le partage de l’imagerie satellite et l’analyse du champ de bataille.


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L’attitude américaine est évidemment perçue par l’Ukraine et ses alliés européens comme un coup de poignard dans le dos. À cet effet, le sommet Securing the future qui s’est tenu à Londres le 2 mars 2025, lequel a rassemblé 18 dirigeants européens, en plus de l’ex-premier ministre du Canada Justin Trudeau, s’est soldé, sans surprise, par un appui sans réserve au président Zelensky et à son pays.

Des personnes sont attablées
La vingtaine de dirigeants participant au sommet de Londres ont déclaré leur soutien indéfectible à l’Ukraine. (AP Photo/Christophe Ena, Pool)

Cette décision illustrait par le fait même la vive fracture divisant désormais la communauté transatlantique. Celle-ci se réduit dorénavant à une relation entre le Canada et l’UE. À l’exception de la Hongrie et de la Slovaquie, les états membres de l’UE et de l’OTAN ne considèrent plus les États-Unis comme étant un allié fiable.

Trump révise sa position

À la suite de l’annonce du soutien inconditionnel des alliés de l’Ukraine exprimé au sommet de Londres, le président Trump a changé sa politique vis-à-vis de Kiev et de son président Zelensky, qualifié quelques jours auparavant de « dictateur ». Pour la première fois, Trump a explicitement reconnu que le président Zelensky et son pays œuvrent à la réalisation d’une trêve avec la Russie, première étape vers une paix juste et durable.


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Le 11 mars 2025, les délégations ukrainienne et américaine se sont rencontrées en Arabie saoudite et ont conclu un accord proposant à la Russie un cessez-le-feu de 30 jours. Au lendemain de la signature de cet accord, l’administration Trump décide de livrer, à nouveau, des armes à l’Ukraine et de partager avec elle des renseignements militaires.

Des hommes tirent un mortier
Des soldats ukrainiens tirent un mortier de 120 mm en direction des positions de l’armée russe près de Chasiv Yar, dans la région de Donetsk, en Ukraine, le dimanche 16 mars 2025. (Oleg Petrasiuk/Ukraine’s 24th Mechanized Brigade via AP)

La Russie se dit finalement satisfaite des négociations et accepte, avec l’Ukraine, de cesser les hostilités en mer Noire.

Des liens politiques et économiques qui se fragilisent

Le début de la normalisation des relations bilatérales russo-américaines se fait en parallèle d’une remise en question des relations transatlantiques.

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les liens transatlantiques, politiques, militaires et économiques, construits conjointement par les États-Unis, le Canada et les États européens, ont garanti la paix en Europe. Les garanties de sécurité données par les États-Unis aux états européens membres de l’OTAN ont servi leurs intérêts respectifs.

À cela s’ajoute le commerce, qui a permis le développement d’une coopération économique entre les alliés. La décision du président américain de lancer une guerre commerciale contre le Canada, mais aussi l’Europe, remet tout cela en question.

Un char allégorique défile
Le rapprochement de Trump avec des gouvernements d’extrême droite n’échappe pas aux pays alliés. Un char de carnaval représentant Donald Trump, Vladimir Poutine et Kim Jong‑un défile sur la place Masséna lors de la cérémonie d’ouverture de la 152ᵉ édition du Carnaval de Nice, en France, le 15 février 2025. (AP Photo/Lewis Joly)

Réarmement de l’Europe

Confronter à un double défi, sécuritaire et commercial, avec les États-Unis, l’UE a convoqué une réunion extraordinaire du Conseil européen le 6 mars 2025. Celui-ci a adopté le projet de « réarmer l’Europe » proposé par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Huit cents milliards d’euros seront mobilisés dans les quatre prochaines années afin de renforcer la défense de l’UE.

Une femme marche en tenant des documents
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, fait valoir que l’Europe doit se réarmer afin de posséder une dissuasion crédible. (AP Photo/Virginia Mayo)

L’adoption du plan visant le réarmement des États membres permet, à moyen terme, la réalisation de l’autonomie stratégique européenne prônée par la France et le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz. Selon lui, l’Europe doit atteindre progressivement l’indépendance vis-à-vis des États-Unis.

L’objectif de l’autonomie stratégique européenne apparait comme étant le moyen le plus approprié pour préserver la paix en Europe, face à la menace de la Russie et au désengagement politique et militaire des États-Unis.

Dans ces conditions, l’Alliance atlantique pourrait être abandonnée éventuellement. Advenant ce cas de figure, seule une Europe stratégiquement autonome pourrait se substituer à l’OTAN.

Nous sommes actuellement témoins d’un « changement d’époque » (Zeitenwende), comme l’a fait remarquer le chancelier allemand Olaf Scholz. Ce changement géopolitique exige une coopération militaire étroite entre les États membres de l’UE, la Grande-Bretagne, le Canada et la Turquie, dont les représentants gouvernementaux étaient présents au sommet de Londres.

Les objectifs de défense européenne sont déjà fixés : garantir la sécurité de tous les membres à long terme, et à court terme, répondre à l’urgence posée par la guerre en Ukraine. L’Occident ne peut tout simplement plus se fier sur les États-Unis pour assurer sa défense, et celle de l’Ukraine.