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Sur cette image, de gauche à droite, le chef libéral Mark Carney, le chef conservateur Pierre Poilievre, le chef du NPD Jagmeet Singh, le chef du Bloc québécois Yves-Francois Blanchet et le co-leader du Parti Vert Jonathan Pedneault. La Presse canadienne/Sean Kilpatrick, Adrian Wyld, Justin Tang

Les menaces de Trump seront-elles le principal enjeu de l’élection au Canada ?

Le 28 avril, les Canadiens se rendront aux urnes pour voter aux élections fédérales.

Les électeurs auront à choisir entre des visions divergentes de l’avenir du Canada à une époque où il est pratiquement impossible de séparer politique étrangère et politique intérieure.

Il ne fait aucun doute qu’une grande partie des discussions pendant la campagne porteront sur la manière dont le prochain gouvernement agira face à Donald Trump, président des États-Unis, et aux menaces persistantes que celui-ci fait peser sur la souveraineté du Canada.

Toutefois, même si l’administration Trump a fragilisé l’ordre mondial démocratique et libéral dans lequel le Canada a prospéré pendant près d’un siècle, il n’est pas certain que le spectre d’une guerre tarifaire internationale, le conflit déchirant au Moyen-Orient et la poursuite de l’agression russe en Ukraine auront une incidence directe sur le choix des Canadiens.

La plupart des politologues considèrent que la politique étrangère n’a pas d’importance pour les Canadiens au moment de voter.

Dans un livre récent de l’historien Patrice Dutil, on peut lire qu’« au moins la moitié des élections nationales au Canada ont donné lieu à des discussions de fond sur la place du Canada dans le monde. »

Alors, qui a raison ?

La politique étrangère : un enjeu

Dans ma plus récente analyse, Foreign Policy and Canadian Elections : A Review, je constate que les deux camps ont raison.

La politique étrangère est ce que les spécialistes des élections appellent un « enjeu », au même titre que l’économie, la sécurité nationale ou les soins de santé.

Les enjeux sont en concurrence avec d’autres considérations — comme l’idéologie, la perception des qualités de leader et le besoin de changement — pour déterminer le choix final au moment de voter.

Les candidats locaux peuvent influencer la manière dont les gens votent, tout comme l’affiliation à un parti. Si l’on se trouve dans une circonscription où son candidat préféré a peu de chances de l’emporter, on peut opter pour un vote stratégique.

Selon la politologue canadienne Elizabeth Gidengi, pour qu’un enjeu comme la politique étrangère soit réellement important lors d’une élection, il doit remplir trois conditions :

  • les partis politiques doivent adopter des positions divergentes sur celui-ci ;

  • les électeurs doivent connaître les différences de points de vue entre les partis ; et

  • le solde d’opinion sur l’enjeu doit clairement favoriser un camp par rapport à l’autre.

C’est rarement ce qui arrive en ce qui concerne la politique étrangère au Canada. Nos partis politiques ont en général des visions assez proches pour les affaires mondiales. Lorsque ce n’est pas le cas, il est rare que l’opinion publique soutienne massivement un camp plutôt que l’autre.

La menace Trump

Pour la prochaine élection, on n’observe pas de réelles divergences entre les favoris, le libéral Mark Carney et le conservateur Pierre Poilievre, sur la manière de traiter Donald Trump.

Les deux candidats se sont engagés à ce que le Canada ne devienne jamais le 51ᵉ État américain et ont promis de riposter aux droits de douane américains par des mesures économiques.

Pierre Poilievre affirme qu’il va gérer les relations canado-américaines d’une manière plus efficace que les libéraux, mais il n’a proposé aucune tactique différente pour y parvenir.

D’un autre côté, Poilievre était clairement sur une piste intéressante dans ses efforts pour faire de la taxe et de la remise sur le carbone du gouvernement Trudeau un enjeu important de l’élection.

Un homme aux cheveux noirs se tient derrière un pupitre
Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, lors d’une conférence de presse sur la Colline du Parlement à Ottawa en août 2024. La Presse canadienne/Patrick Doyle

Jusqu’à ce que Mark Carney remplace Justin Trudeau, les différences entre les conservateurs et les libéraux sur la tarification du carbone étaient évidentes. Grâce à une campagne de marketing hors du commun des conservateurs, le public canadien était au courant de ces différences, et la majorité des Canadiens s’était rangée du côté de Poilièvre.

Maintenant que Carney a lui-même « mis la hache dans la taxe », ces différences se sont beaucoup atténuées.

Politique intérieure mise à part, l’ombre de Donald Trump continuera de se faire sentir au cours des prochaines semaines.

Cependant, les enjeux internationaux et nationaux sont tellement liés qu’on peut difficilement discuter des uns sans tenir compte des autres.

Le libre-échange avec les États-Unis a été au cœur des débats à l’occasion de quatre campagnes électorales — en 1891, 1911, 1935 et 1988 — en raison de son incidence sur le sentiment d’indépendance des Canadiens.


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Les Canadiens étaient divisés sur la conscription pendant la campagne électorale de 1917. Ils l’étaient également sur l’appui à la Grande-Bretagne lors de la crise de Suez en 1956 et tout au long de la campagne électorale de l’année qui a suivi.

L’invasion américaine de l’Irak a divisé les libéraux et l’Alliance canadienne lors des élections de 2003, tout comme l’augmentation du budget de défense en 2000. Le soutien du Canada aux réfugiés syriens a suscité beaucoup d’échanges pendant la campagne électorale de 2015.

Cependant, il n’est pas certain que ces divergences aient influencé plus qu’un petit nombre de Canadiens au moment de voter.

Les gens ont tendance à voter en se fiant à leurs émotions. Et même si Trump est actuellement très présent dans la conscience nationale, les grands partis politiques ne proposent pas de politique différente et concrète pour lui répondre.

À quoi s’attendre dans les prochaines semaines

Un homme aux cheveux gris, vêtu d’un costume sombre, d’une cravate bleue et de lunettes, s’exprime à la Chambre des communes
Le premier ministre Stephen Harper à la Chambre des communes sur la Colline du Parlement à Ottawa en décembre 2011. La Presse canadienne/Sean Kilpatrick

Au cours des cinq prochaines semaines, les Canadiens vont découvrir les points de vue des principaux partis politiques sur les relations avec les États-Unis, la situation au Moyen-Orient et en Ukraine, l’ingérence étrangère dans les affaires de l’État et la défense du Canada.

Les électeurs peuvent et doivent exiger que ceux qui souhaitent diriger le pays soient compétents et aient une position réfléchie sur ces enjeux et d’autres enjeux internationaux.

En 2011, Stephen Harper, alors premier ministre, s’est exprimé en ces termes :

Depuis que je suis entré en fonction — en fait, depuis que je suis devenu premier ministre en 2006 —, la chose qui m’a probablement le plus frappé par rapport aux attentes que j’avais […], ce n’est pas seulement la place des affaires étrangères ou relations extérieures, mais le fait qu’elles sont devenues presque un élément central. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement rien d’important qui n’ait une énorme dimension internationale.

Toutefois, il n’est probablement pas réaliste de s’attendre à ce que les opinions des partis en matière de politique étrangère influencent le résultat de l’élection.

Au moment de voter, la plupart des Canadiens se contenteront probablement d’écouter leur instinct.

Ce que diront Mark Carney et Pierre Poilievre au sujet de leur plan pour réagir à Donald Trump sera sans doute moins déterminant que ce qu’ils donneront comme impression quant au travail qu’ils peuvent accomplir sur la plupart des enjeux importants.

This article was originally published in English