La crise de la démocratie locale dans les petites municipalités rurales oblige à inventer des solutions nouvelles.
Or, les solutions envisagées ne sont pas sans ambiguïté, ainsi que le prouve la récente loi adoptée en juin 2024, visant à protéger les élus municipaux et à favoriser l’exercice sans entrave de leurs fonctions.
Parmi les diverses dispositions, cette loi stipule que les municipalités de moins de 2 000 habitants (dont le territoire n’est pas organisé en districts) peuvent réduire la taille de leur conseil municipal de sept à cinq personnes (le maire étant désormais assisté par seulement quatre conseillers municipaux).
La mesure n’est pas sans attrait pour les élus, qui l’apprécient parce qu’elle permet de contourner le blocage du fonctionnement de certaines municipalités (et, incidemment, permet d’économiser les rares ressources financières). Mais, paradoxalement, elle n’est pas non plus sans risque, puisqu’elle accompagne plus qu’elle ne résout la crise de l’occupation du territoire.
Plus largement, la mesure entre aussi en tension avec l’objectif de contribuer à l’engagement citoyen et à un renouvellement du personnel politique municipal.
À titre de chercheurs en développement territorial à l’Université du Québec à Rimouski, nous menons depuis plusieurs années des enquêtes sur la démocratie locale dans les petites municipalités rurales du Bas-Saint-Laurent. Nous avons pu observer le paradoxe de ces solutions d’urgence qui, tout en répondant à un problème immédiat, risquent aussi de nourrir durablement la crise de la démocratie municipale. Solution partielle, la réduction de la taille des conseils municipaux ne favorise guère la conversation collective nécessaire à des communautés dynamiques.
L’esprit de la mesure : bricoler une solution consensuelle
Commençons par rappeler l’esprit de cette loi, qui illustre les trésors d’ingéniosité des acteurs du monde municipal (élus, organisations de représentation et responsables provinciaux).
Initialement, le projet de loi entendait surtout favoriser l’exercice du métier municipal en luttant contre les pressions indues exercées par certains citoyens sur la démocratie locale (menaces, harcèlement et intimidation).
Progressivement, les débats et consultations vont agréger différentes problématiques. Certaines propositions sont laissées de côté, car suscitant des réserves. Initialement large au point de susciter des critiques, la protection des élus ne concerne finalement que les pratiques “abusives” et “illicites”. De même, d’abord soupçonnée de compromettre la liberté d’expression, la loi précise qu’elle entend protéger les élus des seuls abus « sans restreindre [par ailleurs] le droit de toute personne de participer aux débats publics ». Mais d’autres propositions bénéficient de l’ouverture de cette fenêtre d’opportunités.
Tel est le cas de la mesure visant à réduire la taille des conseils municipaux : initiée par la Fédération québécoise des municipalités, elle est soutenue par le gouvernement, qui y voit une solution aux démissions en cours de mandat et aux difficultés spécifiques qui en résultent dans les petites municipalités (élections partielles, attraction de candidatures, etc.). Comme le résume la ministre des Affaires municipales Andrée Laforest : « six conseillers, parfois, c’est trop ».
Favorablement accueillie par les associations municipales (en particulier la FQM, dont il s’agit d’une demande ancienne), la mesure est mise en place rapidement et, pour les élections municipales de 2025, concernera 30 municipalités à l’échelle du Québec.
Une mesure partielle : l’enjeu de la crise de l’occupation du territoire
Continuons sur les effets ambigus de cette mesure. Elle résout sans doute certains enjeux vitaux du fonctionnement des municipalités autour d’un conseil municipal complet.
Mais elle semble ne pas répondre vraiment à l’épuisement d’un certain modèle d’occupation du territoire. D’abord, elle correspond à une demande marginale, mais réelle dans les municipalités. Mobilisée par 30 municipalités au Québec (soit 2,7 % des 1104 municipalités), la mesure restera sans doute de portée limitée. On observe toutefois une certaine appétence pour elle, en particulier dans certaines régions rurales et périphériques (neuf dans le Bas-Saint-Laurent, six au Saguenay-Lac-Saint-Jean, cinq en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine).
Ainsi que l’indique le Bas-Saint-Laurent, ce sont des territoires dotés d’un tissu municipal éclaté (les 114 municipalités comptent pour 10,3 % des municipalités du Québec, pour 2,3 % de sa population), avec des communautés petites (sur 114 municipalités, 98 ont moins de 2000 habitants et 45 moins de 500), vieillissantes (une population des plus âgées du Québec, avec un âge moyen de 46,8 ans) et où les indices de défavorisation sont élevés.
Ici, cette mesure satisfait une demande réelle : les neuf municipalités concernées représentent toutefois moins de 7,9 % des municipalités bas-laurentiennes, et 1,5 % de la population régionale.
À bien des égards, il s’agit d’une solution provisoire, mais effective qui paraît bien insuffisante pour répondre à l’épuisement d’un certain modèle d’occupation du territoire. Fragilisées, ces petites municipalités rurales ont désormais moins de ressources communautaires pour compenser des missions de plus en plus larges sur un espace immense… Dans ces conditions, exiger qu’elles incarnent à peu près seules une politique durable d’occupation du territoire tient, au mieux, du vœu pieux.
À tout prendre, le sens profond de cette mesure réside peut-être dans le fait qu’elle est moins une innovation qu’une reconnaissance juridique d’un état de fait dans certaines municipalités en crise.
L’enjeu de la représentativité démocratique des municipalités
Il s’agit aussi d’une mesure à double tranchant. Elle permet certes de résoudre dans l’urgence certains enjeux immédiats. Mais elle ne répond guère, à plus long terme, à un autre enjeu essentiel des communautés : la représentativité démocratique des élus locaux.
Ceci laisse un peu perplexe, parce que le projet de loi visait précisément à favoriser un renouvellement du personnel politique municipal. Et la mesure vient plutôt valider le fonctionnement traditionnel des conseils municipaux, entérinant son repli sur des bases de plus en plus ténues…

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Or, les pistes les plus prometteuses pour un renouvellement de la vie démocratique municipale relèvent sans doute plus d’une ouverture que d’une fermeture de l’espace local.
Cette ouverture concerne la municipalité à la fois dans son rôle de représentation (avec des candidatures porteuses de nouveaux profils : populations jeunes, féminines, etc.) et dans son rôle d’action technique (avec une ouverture des municipalités les plus fragiles à la coopération intermunicipale). Il y a donc sans doute un paradoxe tenace ici, qui résume plus généralement la complexité du monde municipal : sans une improbable réforme d’ampleur, ce dernier restera un magasin de porcelaine où les réformes seront des opérations de dépoussiérage, de toilettage ou de premiers secours.
Ces limites nous rappellent que les municipalités sont fondées sur la mise en commun des charges collectives et de leur gestion. Elles pourraient sans doute être aussi une mise en commun des esprits… mais ce rétrécissement des conseils municipaux laisse-t-il la place aux pistes innovantes et à des changements durables ? L’avenir nous dira si, en favorisant de nouvelles voies et solutions, les municipalités concernées sauront éviter le piège de l’immobilisme pour se saisir des défis sociaux contemporains.
Les limites des politiques actuelles sont de plus en plus apparentes. Parier sur les seules dynamiques endogènes pour développer les territoires risque de mener à des petites mesures sans cohérence d’ensemble. Peut-être serait-il temps de repenser, sinon à une vaste réforme territoriale, à la mise en place de mécanismes d’accompagnement provinciaux solides, pour favoriser et encourager les démarches locales et structurantes.